COSMIC LOVE

Soleil noir. Quand l’aumônier passe dans les couloirs de l’hôpital, ils ont peur, comme on a peur de la faucheuse. Comme une odeur de peste et de chrysanthèmes. Ils visualisent déjà la tombe, l’épitaphe, le deuil des proches et ça les terrifie. Sa présence apparaît malsaine, oiseau de mauvais augure. Sombre silhouette longiligne au bord des toits du monde, Charon faisant passer les âmes.
- Une cigarette ? L’infirmier propose, remarquant que c’est un mauvais jour. Acquiescement morbide.
- Deux ce matin. Un a fini seul, en quête de spiritualité jusqu’à la fin. Il a vu un ange. Tranquille dévotion, assurance illusoire. L’autre s’en fichait du divin, mais à l’ultime seconde, il a demandé l’extrême onction malgré tout.


Un regard céruléen, seul souvenir du passé, deux billes translucides, presque celles d’un aveugle. Vingt ans, pas l’ombre d’un vice, le visage si juvénile, la peau innocente, jamais entachée. Ce corps trop blanc, le toucher froid comme du marbre…belle hérésie pour un religieux dans son genre. Un amour qui regarde et c’est tout, l’envie brûlante toujours réfrénée.

Une leucémie. Tu t’es occupé du gamin pendant ses dernières années. Il voulait être astronaute. Un fou des étoiles. Mais il rêvait, en plein vol plané. L’espoir échoué depuis longtemps. Ça ne l’empêchait pas de vivre à fond. De profiter de chaque micro instant. Un modèle de vie. Cet amour tendre et fraternel, teinté de pitié absurde, il l’a ressenti jusqu’au fond des os Algernon. C’est ça qui vous dégoûte vraiment, quand tout est si injuste, quand les grains de sable s’amenuisent dans le sablier.


Et puis t'es parti, ça n'avait plus de sens. Les aiguilles de l'horloge tournent à l'envers. Compter les jours sans. C'est comme ça. La douleur ne s'estompe jamais, chaque patient lui rappelle celui qu'il a aimé, celui qui est mort dans ses bras impuissants. Y'a de quoi devenir larmoyant. T'es pas la fiotte qui pleurniche pourtant. T'es devenu un homme. C'est donc ça, quand l'univers te pisse dessus...c'est ça être adulte, mais mal dans sa peau ?