Rouge à lèvres couleur arc-en-ciel,
bien trop large pour tes si petites lèvres.
Image clownesque d'un miroir qui ne fait aucun cadeau.
Toi, tu t'en moques bien. Tu te trouves belle. Radieuse et les éclats du soleil qui traversent la vitre ne font que briller davantage tes yeux de mer câline.
La rue t'appelle, comme une litanie oubliée.
Tu traverses les squares et tu vas plonger tes mains dans le sable chaud des bacs à sable.
On te fixe. On te scrute. Les adultes t'assassinent du regard.
Tu ne sais pas si c'est robe que tu portes qui t'apportent tant de haine ?
Tu l'aimes pourtant cette robe. C'est une robe de princesse, mais tu es une princesse.
Tu es reine en ton domaine. Rien ne peut t'atteindre.
Sauf, cette gifle qui jette du rouge à tes joues. Tu lèves tes grands yeux en coupelles et ta mère se tient au-dessus de toi sur fond crépusculaire.
Le bandeau qui couvre son crâne, pour poudrer d'élégance et de chic un cancer féroce.
Elle te tire par le bras et te ramène dans cette maison que tu ne supportes pas. Tu en as peur. Peur de ce père.
**
Il hurle ton prénom et toi tu te caches sous ton lit. C'est l'heure du bain, mais tu ne veux point ses caresses.
Les voix dans ta tête te sermonnent. Elle ne chantent aucune chanson pour essuyer les larmes qui salissent tes joues fraise et guimauve.
" Vas-y, il a l'air très en colère." ;
" Ce soir, peut-être il ne te ferra rien" ;
" Il a peut-être un cadeau, tu sais ce grand camion de pompier que tu voulais." Tu halètes. Tu transpires. Tu salis ton bas de pyjama. Les voix s'en amusent.
" Le petit cochon s'est fait pipi dessus." ;
" Cronch, Cronch, Cronch." ;
" L'heure du bain est arrivé."Elles te veulent volontaire du mal. Pourtant, ces voix, c'est toi qui les as inventées.
Ton psychisme fracturé par un père incestueux, mais alors qui va t'aider, mon petit chat ?
Il finit par t'attraper. Il te tire par la cheville. Tu hurles, mais personne ne viendra. Ta mère repose maintenant six pieds sous terre, mon petit ange.
**
Tu te tiens au bord.
Au bord du néant. Du tout. Du commencement.
Tes doigts de pieds dénudés s’agitent au-dessus du vide.
Tu es presque un homme, tes cheveux colorés - merci à Samantha - te couvrent la moitié du visage quand le vent se retourne contre toi.
Tu détestes cette couleur blonde, pute, fille lascive.
Ton quartier semble minuscule.
L'une de tes voix voudrait en griller une avant que tu fasses le grand saut.
Samantha - toujours elle - aimerait un coït bien grade et dégoulinant avant de finir écrabouillé façon tarte tatin.
C'est ses pensées pas les tiennes.
Toi, tu es terrorisé. Les larmes tombent comme des lames de rasoir argentées sur ton torse ouvert au vent.
Ta chemise grande ouverte est ta cape, mon super-héros, mais sais-tu que tu ne sais pas voler ?
Ton père se tient à deux pas et appelle à ta conscience :
" Ne fais pas cela ! Je t'en supplie "Mais, c'est bien à cause de lui que tu veux en finir.
Tu dois sauter, mais même cela tu n'y arriveras pas.
Sa main t'agrippe avant que tu puises en décider autrement.
Et, voilà, qu'il t'envoie loin. Soi disant pour ta santé, car tu es malade.
On s'occupera bien de toi, d'après ses mots. On va te soigner.
Tu vas revenir meilleur.
Tu acceptes, car tu accepteras tout ce qui t'éloignera de lui.